Un des traits les plus frappants de l’occulture, et l’un des plus troublants pour les observateurs extérieurs, réside dans l’auto-identification de certains de ses acteurs à des catégories discursives connotées jusqu’alors négativement et/ou imaginaires. Ainsi, dès la fin du 19ème siècle, mais surtout dans le sillage de l' »occult revival » des années 1960, des individus et des communautés ont affirmé être des « satanistes », des « sorcières », ou encore, un peu plus récemment, des « vampires » ou des « loup-garous ».
La tentation est grande, soit de les considérer comme des fous en marge de la société et dénués de toute espèce d’intérêt ou d’importance, soit de les juger à l’aune des connotations fortement négatives qui sont traditionnellement associées à ces catégories auxquelles ils s’identifient.
Concernant la première de ces deux tentations, comme Kennet Granholm, un chercheur indépendant spécialiste de l’organisation occultiste Dragon Rouge, le faisait remarquer à propos du Temple de Set, un groupe initiatique issu d’un schisme de l’Eglise de Satan en 1975, il est très contestable de ne voir dans ces phénomènes d’auto-identification que des rassemblements de marginaux incultes et ou désocialisés, ou d’adolescents en mal de sensations fortes (cf Granholm, « The Left-Hand Path and Post-Satanism: The Temple of Set and the Evolution of Satanism », dans Faxneld et Petersen ed., The Devil’Party: Satanism in Modernity, Oxford University Press 2013, p. 217, n.7). On trouve en effet parmi les membres, passés et présents, du Temple de Set, des officiers supérieurs de l’armée américaine (Michael A. Aquino, le fondateur du groupe, est lieutenant-colonel), des universitaires (Stephen E. Flowers, responsable de l’ordre du trapézoïde et professeur des universités et spécialiste des littératures germaniques), des écrivains connus (Don Webb, auteur de science-fiction et ancien dirigeant du Temple de Set), des hommes d’affaire etc. Concernant les vampires auto-proclamés, Joseph Laycock, également chercheur indépendant, souligne qu’on trouve parmi eux des travailleurs sociaux, des médecins, des informaticiens ou des membres des forces de l’ordre (Laycock, Vampires Today: the Truth about Modern Vampirism, Praeger 2009, préface). Il s’agit donc, pour ce qui est de cette tentation, d’un cas exemplaire d’affirmation sans fondement empirique et de non -explication, dont la fonction réelle est de minimiser l’importance d’un problème et de le délégitimer pour esquiver les questions qu’il soulève.
Concernant la seconde tentation, le jugement semble ne faire aucun cas de ce qu’il met en cause, au sens où, contrairement à la définition médiévale classique de la vérité comme « adéquation de l’esprit et de la chose », si la chose ne correspond pas au discours posé ou présupposé par l’esprit, c’est la chose qui est considérée comme fausse, et non ce qu’en pense l’esprit. Qu’importe ce que font les satanistes dans la vie réelle? Le satanisme, c’est le mal. Point. L’étude du satanisme tel qu’il existe réellement, dans des individus, des organisations, des textes, manifeste une situation beaucoup plus complexe et nuancée. Mais dès que le mot « satanisme » est lancé, le discernement de la plupart de mes interlocuteurs semblent paralysé, et leur pensée se bloquer sur l’invocation en boucle du stéréotype culturel et de quelques rumeurs sensationnalistes.
Je développe: il y a quelques mois, dans un statut Facebook, je déplorais les préjugés chrétiens sur le satanisme. Un de mes lecteurs catholiques, par ailleurs agrégé de philosophie, m’a répondu que je n’avais peut-être pas fait attention, mais que dans « satanisme », il y a le mot « Satan ». Cette remarque me parait suggérer que l’origine chrétienne du mot clôt définitivement sa signification, et que toute personne se définissant comme sataniste, par essence, se range du côté de Satan tel qu’il est conçu par le christianisme, c’est à dire comme le principe personnifié du mal.
Or, un examen même rapide de l’histoire du satanisme semble montrer que les mécanismes qui ont permis sa genèse sont tout autres.
Dans son remarquable livre Children of Lucifer: The Origins of Modern Religious Satanism (Oxford University Press 2016), Ruben Van Luijk distingue plusieurs processus à l’oeuvre dans la naissance du satanisme: attribution, réhabilitation, appropriation et application. Chronologiquement, dans le cas du satanisme, l’attribution a été première. Si le mot satanisme », dans sa signification actuelle, est très récent (fin 19ème siècle), il renvoie à une longue tradition de dénonciation de l' »autre »: les païens dont les dieux étaient en fait , selon les pères de l’Eglise, des démons, les hérétiques qui menacent l’unité du christianism, les supposées sorcières dont le Sabbat inverse les valeurs chrétiennes… La réhabilitation, c’est principalement celle littéraire, tentée, non sans ambigüités, par des auteurs romantiques tels que Shelley, Byron, Blake ou Hugo, qui exaltent à l’occasion, sous le masque d’un Lucifer prométhéen, le triptyque science/sexe/liberté. La seconde moitié du 19ème siècle, marquée par la défiance croissante des catholiques envers une société dont ils se sentent aliénés, et la tentation du conspirationnisme (la Révolution Française, qui a détruit l’ancien monde, n’est-elle pas le fruit de la conjuration d’ennemis secrets de l’Eglise? La proximité des libres-penseurs avec la franc-maçonnerie est bien connue) correspond à un retour de l’attribution: le roman Là-Bas de Huysmans propose une description devenu rapidement quasi canonique de la messe noire, qui correspond aujourd’hui encore à l’image que beaucoup de gens ont du satanisme. La célèbre imposture de Léo Taxil qui a duré douze ans, semble accréditer l’idée d’une étroite collaboration entre la franc-maçonnerie et des forces diaboliques. Dès la fin du 19ème siècle, et au début du 20ème siècle, plusieurs tentatives timides et éphémères d’appropriations, c’est-à-dire d’identifications religieuses à la figure du satanisme, commencent timidement à voir le jour: certains textes de Stanislas Przybyszewski, la Confrérie de la Flèche d’Or de Maria de Naglowska, ou encore le luciférisme de Ben Kadosh. C’est en 1966 que la première organisation sataniste durable, l’Eglise de Satan, nait, sous la houlette d’Anton Szandor LaVey. Enfin, l’application: comment gérer la présence pérenne du satanisme aujourd’hui, dans une société pluraliste?
De façon analogue, Joseph Laycock analyse de la manière suivante l’émergence à la fin du 20ème siècle d’individus et de communautés qui s’identifient à la figure du vampire:
(op. cit. p. 28)
L’idée saillante, de mon point de vue, est que l’appropriation n’équivaut pas à une imitation, mais constitue une re-signification, et un déplacement discursif et sémantique, de la délégitimation d’autrui, dans l’attribution, à l’empowerment de soi, dans la réhabilitation et l’appropriation.
Ainsi, les « vampires psychiques » (ou « praniques », ou « auriques ») semblent s’inspirer d’une tradition, qui, dès Psychic Self-Defense de l’occultiste Dion Fortune (1930), affirme que certains individus ont le pouvoir, parfois inconscient, d’aspirer l’énergie vitale d’autrui, souvent avec des effets délétères. Mais ces vampires auto-proclamés retournent le stigmate: beaucoup ont élaboré ensemble une « éthique » du vampirisme (les « sanguinariens », qui se nourrissent de sang, aussi, d’ailleurs): se nourrir de personnes consentantes, de plusieurs personnes à la fois pour ne pas trop prendre à chacune, absorber juste l’énergie excédentaire… D’autres défendent l’idée d’un vampirisme qui se nourrirait des énergies « négatives » (stress, colère…) et aurait matériellement un effet bénéfique sur les personnes contributrices.
La Wicca a fait de gros efforts discursifs pour renverser l’image traditionnelle de la sorcière. Ses inspirations les plus directes, comme l’égyptologue Margaret Murray, qui défendait l’existence ininterrompue et clandestine d’une tradition néo-païenne matriarcale de sorcières depuis le néolithique (thèse aujourd’hui complètement invalidée universitairement) ou le folkloriste Charles Godfrey Leland, auteur d’ Aradia ou l’évangile des sorcières (1899), tout en réhabilitant la figure de la sorcière, en maintenaient certains aspects sinistres, voire cruels (cf. Ronald Hutton, The Triumph of the Moon, Oxford University Press 1994). Les wiccans ont, au contraire, insisté majoritairement sur les aspects guérisseurs, écologistes et féministes de la sorcellerie, quitte à s’acheter une respectabilité aux dépends du satanisme, chargé de tous les maux que la Wicca réfute pour elle-même. Ce qui a suscité des réactions en retour, aussi bien de celui-ci (par exemple LaVey, The Satanic Witch, 1971) que de la rapidement émergente sorcellerie luciférienne (Cochran, Chumley, Ford, etc. cf.Fredrik Gregorius, « Luciferian Witchcraft: At the Crossroads between Paganism and Satanism », Faxneld et Petersen 2013, op. cit. ).
Dans les termes de la sorcière wiccane et militante écoféministe Starhawk, dans son livre désormais classique Rêver l’Obscur (1982):
(Starhawk, Rêver l’Obscur, Cambourakis 2015, trad. Morbic)
Diable, sorcière, vampire, sataniste: réappropriés dans le cadre d’une identification personnelle, ces mots sont à comprendre, comme Joseph Laycock le souligne dans le passage cité plus haut, dans le cadre d’une démarche plus large de « technique de soi ».
Michel Foucault, dans L’Origine de l’herméneutique de soi (Vrin, 1980) définit ainsi les « techniques de soi »:
« (…) des techniques qui permettent aux individus d’effectuer par eux-mêmes, un certain nombre d’opérations sur leur propre corps, leur propre âme, sur leurs propres pensées, sur leur propre conduite, et cela de manière à se transformer eux-mêmes, se modifier eux-mêmes et atteindre un certain état de perfection, de bonheur, de pureté, de pouvoir surnaturel, etc. »
Amina Olander Lap, titulaire d’un master en études religieuses de l’Université d’Aarhus (Danemark) et sataniste, responsable du Satanisk Forum, rapproche le satanisme laveyen des mouvements du potentiel humain et de l’auto-spiritualité:
(Amina Lap, « Categorizing Modern Satanism: An Analysis of LaVey’s Ealy Writings », Faxneld et Petersen ed. 2013, op. cit. , p. 101)
Le processus d’identification à une catégorie discursive « autre » et traditionnellement connotée négativement, consiste donc à réinterpréter cette catégorie en substituant à son ancienne signification négative et dépréciative une signification nouvelle positive et qui suscite l’estime de soi.
Dans un témoignage sur un site sataniste, une membre de The UK Church of Rational Satanism décrit comment devenir sataniste lui a permis de restaurer son image de soi et de trouver le courage de mettre un terme à sa relation avec un mari abusif.
Pour autant, la connotation négative n’est pas purement et simplement abolie, mais réinterprétée. Dans le passage cité plus haut, Starhawk affirme que l’identification à la figure de la sorcière doit « prendre à rebrousse-poil ».
A propos du satanisme, Jesper Aagard Petersen, maître de conférence à l’université de Trondheim (Norvège), qui définit le satanisme comme un acte discursif et performatif d’identification à une prise de position « adverse », ou encore comme un milieu satanique « flou » ayant en commun certains mots-clés, pratiques et idées (et en particulier quatre traits: auto-religion, antinomisme, utilisation de certains mots en « -S », et une généalogie idéologique commune) , décrit un double processus de « satanization » et de « sanitization » (Petersen, « The Carnival of Dr. LaVey: Articulations of Transgressions in Modern Satanism », Faxneld et Petersen ed., 2013 op. cit.) .
Ainsi, l’Eglise de Satan revendique positivement la connotation négative associée à Satan et la charge transgressive du blasphème, pour « déconditionner » ses membres, souligner leur différence avec la société civile, leur caractère élitiste, et pour marquer les esprits (satanization). Mais elle veille, inversement, à souligner qu’elle ne tolère ni les meurtres, ni les violences envers les enfants et les animaux, en son sein, et insiste sur la responsabilité personnelle de ses membres (« responsability to the responsables!« ) (sanitization).
Cette double démarche fonctionne également sur le registre de l’attribution, et non pas uniquement sur celui de l’appropriation: l’Eglise de Satan moque le « white-washing » de la Wicca ou du Temple Satanique (sanitization) et s’indigne des actes de violence « pseudo-sataniques » des « devil worshipers« : des black metalleux qui brûlent des églises, par exemple (satanization). En ce sens, même les satanistes n’échappent pas à la tentation de diaboliser autrui, lorsque même eux le trouent trop transgressif
Même l’Ordre des Neuf Angles, une organisation néo-nazie qui se réclame d’un « satanisme traditionnel », et qui, décriant le caractère aseptisé et légaliste du satanisme « mainstream« , n’hésite pas à faire l’apologie du sacrifice humain, voire du terrorisme, n’échappe pas à cette double dimension. Son discours est horrible et criminel, et j’espère vraiment que ses membres sont surveillés de très près par les autorités, même s’il semble qu’ils ne soient pas encore passés à l’acte. Mais on n’est pas tout à fait dans le mal pour le mal: la violence n’est pas valorisée pour elle-même, mais mise au service d’un projet de société (« culling the herd« ), aussi condamnable qu’il soit. En ce sens, l’ONA n’échappe pas au reproche de sanitization qu’il adresse aux autres satanistes.
En fait, la diversité des organisations satanistes nous éclairent sur l’extrême plasticité sémantique de ces identifications transgressives et faussement transparentes. Entre l’homosexuel ou le trans’ qui discerne dans la condamnation chrétienne de Satan un écho de son propre rejet par les églises chrétiennes, et qui milite au sein du Temple Satanique pour plus de justice sociale, et le « niner » néo-nazi qui rejette absolument les notions de justice et d’égalité, et qui rêve de la destruction des démocraties occidentales, on voit bien que si le signifiant est commun, le signifié n’a absolument rien à voir.
VIDEO: The Satanic Temple of Seattle chants « Empathy matters, compassion matters, YOU matter! » at Seattle Pride. https://t.co/AqY5NGni8Q
— TST Seattle (@TSTSeattle) 2 juillet 2016
Laycock fait une observation similaire à propos du signifiant « vampire »:
Au terme, provisoire, de ce parcours, je souhaiterais faire deux observations:
- On le voit, l’identification à l’autre obscur ou diabolique est indissociable d’une re-signification en profondeur de cet « autre », qui n’a absolument rien d’univoque: suivant les « satanistes » ou les « vampires », la définition du satanisme ou du vampirisme et de leurs attributs peut varier du tout au tout. Il me parait donc tout à fait impossible de juger a priori les personnes qui s’en réclament et même leur démarche à l’aune des stéréotypes traditionnels, a fortiori de l’enseignement magistériel de l’Eglise catholique sur le diable et la magie, qui ne parle tout simplement pas de la même chose que ces vampires, satanistes ou sorcières auto-proclamés.
- Dans la crise d’identité que traversent nos sociétés occidentales, cette identification à l’autre « diabolique » interroge. Certains contemporains craignent l’essor des « communautarismes », et insistent sur la nécessité d’un « commun », dans une perspective « universaliste ». Mais le « commun » des sociétés ancienne était souvent aussi l’ennemi contre lequel on s’unit, et même l' »universel » républicain a ses zones d’ombres, ses bouc émissaires et ses délaissés. Si la question de comment gérer l' »autre » au sein de nos sociétés, qui me semble soulevée, de manière certes marginale mais significative sur le plan du symbole, par ces identifications à l’obscur et au démoniaque, n’est pas sérieusement posée, je crains fort que cet universalisme républicain passe à côté d’enjeux essentiels, et s’avère en définitif une illusion. Au delà de l’occulture en elle-même, c’est une question qui est au coeur de ce nouveau blog.
11 juillet 2016 at 20 08 44 07447
Merci pour ces éclaircissements bienvenus sur un sujet qui, sans me passionner, ne me laisse pas pour autant indifférent. En lisant ce post, plusieurs rapprochements (en apparence inattendus) me viennent spontanément à l’esprit.
Premièrement, l’opposition satanization / sanitization me fait penser à ce qu’on a appelé la « culture hacher ». Je me rappelle les débats toujours très animés à la fois entre white hats et black hats et entre lamers et vrais hackers. Je me rappelle en particulier ce hacher qui s’était vanté (il y a bien longtemps) d’avoir defacé la homepage d’une grande chaine de télé et qui, soucieux de prouver que les hackers sont des bons gars, s’apprêtait à écrire au webmaster pour lui expliquer comment sécuriser le site. Ça résume bien l’hésitation permanente entre le culot activiste et le besoin d’une certaine reconnaissance.
Deuxièmement, les différences sensibilités satanistes présentent-elles la même tendance à l’institutionnalisation que l’Église chrétienne à travers les siècles ? C’est quelque chose qu’on retrouve dans les mouvements plus ou moins militants en général (la satisfaction d’appartenir à un groupe donné devenant plus importante que l’épanouissement d’une sensibilité),
Et troisièmement, tu parles de l’occult revival des années 60, mais cette tendance n’en a-t-elle pas engendré d’autres dans les décennies qui suivirent ? La « satanic panic » des années 80 a par exemple fait couler beaucoup d’encre. À l’occasion, il serait intéressant d’observer les diverses manières dont les caractéristiques sociales (classe, genre, profession) et les chefs d’accusation (sacrifices rituels, sectes sataniques, etc) se combinent pour produire des affaires comme celle des West Memphis Three depuis 1993 (largement médiatisée via les 4 documentaires Paradise Lost) et plus largement celles (nombreuses) des faux souvenirs donnant lieux à des accusations d’inceste.
C’est tout ce que j’avais à dire 🙂
J’aimeJ’aime
11 juillet 2016 at 21 09 06 07067
Merci d’avoir pris le temps de lire et de commenter ce billet. J’essaierai de répondre d’ici demain soir
J’aimeJ’aime
12 juillet 2016 at 20 08 45 07457
-« ça résume bien l’hésitation permanente entre le culot activiste et le besoin d’une certaine reconnaissance » :il y a de ça, en effet. Et peut être aussi le fait que derrière la conviction d’être différent, d’appartenir à une « alien elite » (LaVey) les présupposés moraux de leur milieu et de leur formation finissent toujours par remonter, de manière plus ou moins assumée.
– sur la tendance à l’institutionnalisation: tout à fait! Les satanistes se plaignent eux mêmes de devenir de plus en plus comme les églises chrétiennes, éclatées en de multiples dénominations qui ne cessent de s’excommunier. L’Église de Satan, en particulier, est connue pour se se comporter ouvertement comme l’Église catholique avant Vatican II vis à vis des autres communautés .
Concernant la Wicca, il existe depuis plusieurs décennies un débat très virulent entre ce qu’on appelle la « british traditional Wicca » qui insiste sur l’appartenance à des « traditions initiatiques » (celles qui se sont formées à la suite de la wicca gardnerienne dans les années 1960) et la « wicca eclectique » qui revendique la pratique solitaire et l’auto initiation.
– je mentionnais l’occult revival comme un point de départ pour la revendication ouverte et dans la durée de ces nouvelles identités, mais il est clair qu’elles ont effectivement beaucoup évolué par la suite: ainsi, pour le satanisme: le schisme entre théistes et athées dans les années 1970, le repli de l’Église de Satan consécutif à la satanic panic (que je connais par les comptes rendus dans les histoires du satanisme, mais sur laquelle j’ai encore assez peu lu directement, même si j’ai entendu parler du cas que tu évoques), et la prolifération et la diversification du satanisme à partir des années 1990 grâce aux possibilités offertes par internet. Concernant la satanic panic, même si elle a, paradoxalement, touché directement très peu de satanistes (à part Aquino), elle a laissé des marques durables dans certaines mémoires. Je connais aujourd’hui deux initiatives auxquelles participent des satanistes, destinées à combattent les résurgences des « satanic ritual abuses »: la Grey Faction du Temple satanique aux USA http://greyfaction.org/ , et le regroupement de blogueur autour du site Hoaxstead au Royaume-Uni https://hoaxteadresearch.wordpress.com/
J’aimeJ’aime
12 juillet 2016 at 21 09 24 07247
Concernant la manière dont les diverses sensibilités satanistes trouvent à s’exprimer (tu évoques l’influence du milieu et de la formation qui finit toujours par remonter), je ne peux m’empêcher de voir un parallèle avec les débuts de la théologie chrétienne qui promettait rien de moins que la rupture (folie et scandale de la Croix) tout en se montrant au bout du compte incapable de penser cette rupture autrement que dans des termes hérités du milieu d’origine (philosophie stoïcienne, vision organiciste de la société, fascination pour le pouvoir et la hiérarchie).
Il serait intéressant d’étudier dans quelle mesure le recours à ces thématiques dans le cinéma mainstream et d’exploitation a pu appauvrir ces identités. Se regarder dans le miroir (qu’il soit déformant ou fidèle à la réalité) n’est pas sans danger. Concrètement, on peut imaginer qu’avec le temps, de nombreux satanistes ont de plus en plus eu à cœur de ressembler au portrait qu’on faisait d’eux.
Enfin, je m’interroge sur la différence entre la généalogie sataniste des symboles sataniques, et leur généalogie non-sataniste, qui résulte surtout des peurs de la société. Par exemple, la satanic panic a donné lieu à des accusations que la majorité des satanistes trouvent sans doute assez farfelue. La plupart des sévices évoqués sont sans doute spectaculaires et terrifiants mais même moi qui n’y connais rien je vois mal quelle pourrait être leur utilité rituelle. Inversement, il y a sans doute beaucoup de choses dans le satanisme que l’opinion aurait bien du mal à assimiler au satanisme.
Maintenant, j’aurais une petite question : peut-on être à la fois chrétien et sataniste ? Beaucoup trouveront cette question stupide, mais je me méfie des évidences.
J’aimeJ’aime
13 juillet 2016 at 10 10 34 07347
« Il serait intéressant d’étudier dans quelle mesure le recours à ces thématiques dans le cinéma mainstream et d’exploitation a pu appauvrir ces identités. Se regarder dans le miroir (qu’il soit déformant ou fidèle à la réalité) n’est pas sans danger. Concrètement, on peut imaginer qu’avec le temps, de nombreux satanistes ont de plus en plus eu à cœur de ressembler au portrait qu’on faisait d’eux. »
Il me semble que ce qui se passe est un peu différent. La réaction du genre « retour au vrai satanisme, celui des films » a existé et caractérisait par exemple le satanisme du black metal inner circle norvégien.
Dans les termes d’Euronymous, dans un entretien accordé une semaine avant sa mort:
« I can also say that I will NEVER accept any band which preaches CHURCH OF SATAN ideas, as they are just a bunch of freedom, and life-loving atheists, and they stand exactly the opposite of me. (…) I believe in a horned devil, a personified Satan. In my opinion all the other forms of Satanism are bullshit. I hate that some peoople think up idiotic ways of making eternal peace in the world and dare to call it Satanism, like so many do. Satanism comes from religious Christianity, and there it shall stay. I’m a religious person and I will fight those who misuse His name. People are not supposed to believe in themselves and be individualists. They are supposed to OBEY, to be the SLAVES of religion. » (http://www.fmp666.com/moonlight/mayhem.html)
Mais tout comme le portrait du diable dans la fiction est devenu très divers (suivant que les auteurs soient inspiré par l’archétype chrétien, celui du satanisme romantique etc.: quoi de commun entre le diable du Prince des ténèbres de Carpenter, celui de l’associé du diable, le Lucifer héroïque de la fin de Satan de Hugo ou de la révolte des anges d’Anatole France, ou encore LA diable de Maoyuu Maou Yuusha), les définitions du satanisme se sont nettement diversifiées, voire individualisées, ces dernières décennies. De réinterprétations en réappropriations, on se retrouve dans la même situation que celle décrite par Laycock pour le vampirisme: au lieu d’une uniformisation, on assiste à une extrême différenciation, aussi bien des stéréotypes véhiculés par les fictions, que des discours qui se réclament du satanisme. Au point qu’à peu près n’importe quel discours vaguement contre-culturel ou hostile à tel ou tel aspect des religions traditionnelles peut se réclamer du satanisme. Même les organisations satanistes « sinistres » (ONA, Temple of the Black Light), qui ont à coeur de se réclamer des aspects les plus diaboliques et inquiétants du satanisme, ont développé des visions du mondes et des mythologies originales qui n’ont plus grand chose à voir avec le stéréotype original, et on voir surgir des organisations de satanistes civiques qui veulent défendre la justice et le bien commun. Ce qui m’amène à ta dernière remarque:
« Maintenant, j’aurais une petite question : peut-on être à la fois chrétien et sataniste ? Beaucoup trouveront cette question stupide, mais je me méfie des évidences. »
Je me pose la même question. Chacun des deux ayant tendance à se planter dans sa définition de l’autre, et les deux étant tellement divers, il y a sûrement des intersections. L’une des organisations satanistes les plus récentes, mais aussi les plus dynamiques et numériquement importantes, le Temple Satanique, s’appuie sur les principes suivants:
» One should strive to act with compassion and empathy towards all creatures in accordance with reason.
The struggle for justice is an ongoing and necessary pursuit that should prevail over laws and institutions.
One’s body is inviolable, subject to one’s own will alone.
The freedoms of others should be respected, including the freedom to offend. To willfully and unjustly encroach upon the freedoms of another is to forgo your own.
Beliefs should conform to our best scientific understanding of the world. We should take care never to distort scientific facts to fit our beliefs.
People are fallible. If we make a mistake, we should do our best to rectify it and resolve any harm that may have been caused.
Every tenet is a guiding principle designed to inspire nobility in action and thought. The spirit of compassion, wisdom, and justice should always prevail over the written or spoken word » (http://thesatanictemple.com/about-us/tenets/)
A part le côté non christocentré, on n’est pas loin du chrétien de gauche archétypique. Certes, le temple satanique est considéré par beaucoup de satanistes plus classiques à peu près aussi bien que la CCBF par le salon beige (c’est pas des « vrais ») et l’organisation à un côté parodique assumé (mais c’était aussi le cas de l’Eglise de Satan à ses débuts). Mais je suis convaincu que l’identification au satanisme est sérieuse pour la plupart d’entre eux (il n’y a qu’à voir comment ils réagissent aux critiques des autres satanistes. Et leur activisme a pour conséquence que quand les médias américains parlent de « satanisme », c’est de plus en plus souvent d’eux qu’ils parlent. Avec des conséquences possibles sur l’évolution de l’archétype « satanisme » dans la culture occidentale.
Du coup, certains membres du temple satanique commencent à se poser la même question que nous. J’ai vu quelqu’un le faire sur le forum du temple satanique (http://thefriendsofsatan.com/index.php#c1), mais je n’arrive plus à retrouver le post.
J’aimeJ’aime
27 décembre 2018 at 23 11 50 125012
A reblogué ceci sur Chroniques Sataniqueset a ajouté:
Quelque part entre ma « conversion » du catholicisme au satanisme et mon apostasie publique (concrètement entre la mi 2016 et la mi 2017), j’ai créé un blog éphémère, « Occulture », dans lequel je tentais de mettre des mots sur les changements qui s’opéraient en moi, sans être trop transparent. Voici son premier billet :
J’aimeJ’aime